La croisade des innocents

Auteurs : Chloé Cruchaudet (Scénario, Dessin)
Editeur : Soleil
Collection : Noctambule
Date de parution : 17 Octobre 2018
Pages : 176
Taille : 27,5 x 19,5 cm
Genre : Romans graphiques
Type de récit : Histoire complète

Résumé de l’éditeur :
À travers une aventure teintée de moments légers, poétiques et graves, La Croisade des Innocents propose une réflexion sur la nature humaine et la religion. Début du XIIIe siècle. Colas, douze ans, vit dans un climat de pauvreté et de terreur.
Un jour où il craint la violence paternelle, il décide de s’enfuir et trouve refuge dans une brasserie parmi d’autres enfants exploités.
Un soir d’hiver, Colas a une vision : Jésus lui apparaît, et lui ordonne d’aller délivrer son tombeau à Jérusalem. Avec l’aide de son ami Camille, il réussit à convaincre les autres enfants de constituer une croisade : sans adultes, sans puissant chevalier, ils arpentent les routes, persuadés que, grâce à leurs coeurs purs, rien ne pourra leur arriver… Une histoire de croyance, une histoire d’enfants…

Ce qu’en dit Bodoï :

Ce n’est pas de l’esclavage mais ça y ressemble. Une bande de gamins triment du matin au soir dans une brasserie de la campagne française, en échange d’une paillasse et d’un bol de soupe quotidien, dans un Moyen-Âge rude et peu propice aux joies de l’enfance. C’est là qu’échoue Colas, rejeté par ses parents pour avoir laissé sa toute petite soeur tomber au milieu des porcs et se faire dévorer. Muet depuis sa fuite, il plie l’échine, le regard vide. Jusqu’au jour où il voit l’image du Christ sous la glace d’une mare gelée. Cette révélation mystique va lui redonner la parole et, aidé par un plus débrouillard que lui, il va convaincre ses congénères de prendre la route. Direction Jérusalem, pour une croisade pacifiste et improvisée.
En s’inspirant d’un fait historique assez peu documenté, une croisade d’enfants née d’un mouvement spontané au XIIIe siècle, Chloé Cruchaudet (Mauvais Genre, Ida…) décrit le Moyen-Âge à hauteur d’enfants, entre violence et candeur. Une histoire de survie, parfois lumineuse comme le sourire d’un gamin qui croque dans un fruit sucré, souvent âpre et dure comme le regard d’un môme qui vous renvoie à vos propres failles. À travers cette longue marche vont se révéler les caractères et s’affirmer les personnalités – le meneur, l’ambitieux, l’illuminé, le couard… Et se bâtir une micro-société itinérante, fondée sur l’idéal collectif d’une vie sans adulte et donc sans contrainte, si ce n’est suivre la parole du Christ, mais interprétée par l’innocence d’un enfant. Enfin, l’innocence, jusqu’à un certain point, car la violence et la cruauté peuvent aussi être des caractéristiques des plus petits…

Par son trait fin et expressif, ses ombres délicatement charbonneuses et sa mise en couleurs la plupart du temps sépia, Chloé Cruchaudet saisit à merveille les regards inquiets ou pleins d’espoir de cette bande de gamins qui jouent à la croisade simplement pour fuir les brimades des grands ou qui sont déjà enivrés par une aveugle parole divine. Elle ne tranche pas, ne blâme pas, ne se moque pas. Elle fait vivre ces enfants, simplement, et suscite un regard tantôt attendri, tantôt effrayé face au drame qui se joue. Car des sujets plus contemporains émergent de son histoire, celui de l’embrigadement, de la grande pauvreté, du rejet de l’étranger, de la violence comme remède à l’injustice, de la responsabilité des adultes dans l’éducation et la fondation d’un espoir non factice pour les générations suivantes… À la lumière de ces thèmes, La Croisade des enfants prend des atours parfois terrifiants. Mais avec ou sans cette interprétation, elle se pose comme une bande dessinée simplement intelligente, palpitante et bouleversante.

Ce qu’en dit « Bar à Bd »

Je m’appelle Colas et je ne suis pas bien grand. Mes guenilles sont bien ajustées et la faim a fait depuis longtemps son nid dans le creux de mon ventre. J’ai grandi dans une cahute qui nous protégeait à peine du froid. Je croupissais dans une enfance qui n’en était pas une, entre un père qui cherchait à me dresser et une mère qui ne savait pas me prendre dans ses bras. De temps en temps, une étincelle d’enfance venait me sortir de ce monde brut et miséreux… j’étais très vite rappelé à l’ordre. J’ai fugué. Mais après plusieurs jours, ne tenant plus, j’ai frappé à la première porte qui se présentait à moi. On m’a donné du travail. En échange, j’avais de quoi manger chaque jour. Et puis un jour, le Christ est apparu devant moi. Je l’ai vu comme je vous vois.
J’ai raconté mon histoire aux autres enfants. Mon ami Camille y a ajouté quelques menus détails. Cela nous a permis de trouver l’élan de partir. Nous étions désormais les élus de Dieu, des innocents choisis pour délivrer le tombeau de Jésus. Peu de temps après, on a pris la route en direction de Jérusalem.
Chloé Cruchaudet s’est inspirée des rares écrits qui existent sur ce fait historique du XIIIème siècle (il a eu lieu en 1212, entre la quatrième et la cinquième croisade). Ce récit peu connu relate la croisade improvisée d’une troupe d’enfants partis vers Jérusalem pour libérer le tombeau du Christ des Arabes. Au début de cette expédition, le groupe était famélique mais en chemin d’autres enfants s’y sont greffés. L’autrice s’en est nourrit pour écrire cette fiction.

Malgré leur morve au nez et leurs cheveux ébouriffés et malgré la crasse qui les recouvre de haut en bas, on emboîte très vite le pas de ces petits héros en culottes courtes. On sait bien que la tâche est démesurée, on sait bien qu’il y a peu de chances qu’ils en ressortent vivants mais pourquoi ne pas croire à leur rêve ? Pourquoi ne pas se laisser porter par l’espoir qui les anime ?

Et ça marche. La ferveur qui les porte nous fait croire en la réussite de leur quête. Qu’ont-ils à perdre dans ce combat ? Certainement pas la chaleur d’un foyer car ils n’y étaient pas dorlotés. Peut-être la promesse d’un avenir meilleur car ne s’offrait à eux qu’une vie miséreuse. C’est sans doute-là leur unique chance de vivre libres et de croire, quelque temps du moins, que la vie pourrait enfin leur sourire. Et tout cela donne à ce voyage en Terre sainte un aspect poétique.

Ce récit d’apprentissage est superbement illustré par Chloé Cruchaudet. Son ambiance graphique aux tons délavés nous plonge dans un univers moyenâgeux, pauvre et austère mais l’optimisme de ces enfants fait un superbe pied de nez à la violence de ce monde. Les personnages aux traits doux pour les uns, farouches pour les autres, sont expressifs à souhait. Les visages sont mangés par de grands yeux ronds comme des billes, de francs sourires ou des moues boudeuses… on ressent vite de l’empathie pour les jeunes personnages de l’histoire.

Au cœur de cet album bat une belle histoire d’amitié. Il est aussi questions de croyance, de convictions et d’espoir. Le voyage m’a beaucoup plu.

Ce qu’en dit « Planète BD » :

On ne présente plus Chloé Cruchaudet qui, album après album (Groenland Manhattan, Mauvais genre, La poudre d’escampette, entre autres) tisse une œuvre singulière et captivante. Avec La croisade des innocents, elle poursuit cette inlassable quête, en s’inspirant de la croisade des enfants, une expédition des croisades populaires menée au XIIIème siècle par des gens du peuple voulant partir en Terre Sainte pour délivrer Jérusalem, à l’image des croisades de chevaliers. La Croisade des Innocents est un véritable bijou, tant par le scénario irrévérencieux au possible, jetant un pavé dans la mare de la religion… que par son trait qui, derrière une délicatesse apparente, cache une incroyable noirceur. D’emblée, avec une scène bien morbide, il se dégage une atmosphère singulière qui emporte dès les premières pages pour ne plus vous lâcher. Son dessin au trait fin contrebalance avec les couleurs sombres et délavées aux tons carmin, verdâtres et grisonnantes choisies. On ressort de ce voyage étrange aux confins des croyances avec un plaisir non dissimulé et une innocence bafouée, dans un rire sardonique.