Ce texte nous invite, avec beaucoup d’humour germanique, à découvrir les richesses de sa vie quotidienne dans toute sa simplicité.
Karl RAHNER s.j. Théologie du quotidien
« Si ta vie quotidienne te paraît pauvre, ne l’incrimine pas. Plains-toi plutôt de ne pas être capable d’en proclamer les richesses » (Rilke).
Des méditations théologiques comme celles-ci, beaucoup ne pourront les lire et les approfondir tranquillement que le dimanche, à cause de la hâte, de la précipitation, de l’empressement et de l’affairement de la vie quotidienne. Le dimanche pourrait être une sorte de respiration de l’homme tout entier en vue des autres jours. Ce jour-là, ne devrions-nous pas du moins profiter de l’occasion qui nous est offerte pour réfléchir quelque peu à une théologie du quotidien, pour placer sous la lumière de la foi chrétienne certaines réalités quotidiennes comme le travail, les loisirs, la nourriture, le sommeil et autres choses semblables qui ont font partie, et pour considérer ces réalités comme une question posée à la théologie ? Il est bien entendu, évidemment, qu’en quelques courtes pages on ne peut dire que très peu de chose, même sur des r »alités aussi simples, et cela d’autant plus que, dans la théorie comme dans la pratique, les choses les plus simples sont souvent en réalité les plus difficiles.
Maintenant, en guise d’introduction, disons seulement quelques mots sur la théologie du quotidien en général.
Et tout d’abord ceci : une telle théologie ne doit pas croire qu’elle peut faire du quotidien un jour de fête. Laissez le quotidien être le quotidien, commencez par dire que cette théologie ! Même les hautes idées de la foi et de la science de l’éternité ne peuvent et ne doivent transformer le quotidien en jour de fête. Il doit être maintenu tel quel : ni édulcoré, ni idéalisé. C’est alors seulement qu’il est vraiment ce qu’il doit être pour les chrétiens : lieu de la foi, école de la sobriété, exercice de la patience, discernement salutaire du verbiage des faux idéals, secrète occasion d’aimer vraiment et d’être fidèle, test de l’objectivité qui est la semence de la suprême sagesse.
En second lieu, on pourrait dire que c’est précisément en demeurant ce qu’elle est, que la simple réalité quotidienne acceptée loyalement renferme le miracle continuel et le mystère secret que nous appelons Dieu et sa grâce cachée. Car c’est bien tout cela qui est vécu par l’homme au jour le jour. Et là où l’homme est présent, il libère les profondeurs cachées de la réalité en agissant de façon libre et responsable. Car même les plus petits détails de la vie quotidienne sont ou doivent être insérés vraiment comme une composante intrinsèque dans une vie tellement humaine, c’est-à-dire dans une vie qui, grâce à une foi, à une espérance et à une charité orientées vers Dieu en toute liberté véritable, acquiert le poids du Dieu éternel qu’elle saisit. Et nous possédons dieu, finalement, non pas à travers notre idéal, ou avec des grands mots, ou en nous contemplant nous-mêmes, mais au contraire en nous arrachant à notre égoïsme, en nous oubliant nous-mêmes pour nous soucier des autres, en étant patients, de cette patience qui nous rend calmes et sages. Celui qui, en tant qu’homme, reçoit la petite chose qu’est le temps au cœur de l’éternité qu’il porte en lui-même, celui-là remarque soudain que les petites choses, elles aussi, ont des profondeurs indicibles, qu’elles sont messagères d’éternité, qu’elles sont toujours supérieures à elles-mêmes, comme des gouttes d’eau dans lesquelles le ciel tout entier se reflète, comme des signes qui renvoient bien au-delà d’eux-mêmes, comme des messagers avant-coureurs qui, étonnés en quelque sorte par la nouvelle qu’ils portent, annoncent déjà le monde sans fin qui vient, comme des ombres de la réalité véritable qui dès maintenant tombent sur nous, parce que justement la réalité proprement dite est là toute proche.
Et voilà pourquoi, enfin, il faut consentir chaque dimanche aux petites choses humbles et obscures de tous les jours. Elles ne sont irritantes que si nous les considérons comme telles ; elles ne sont agaçantes que si elles ne sont pas comprises ; elles ne nous rendent ordinaires et médiocres que si nous ne les comprenons pas correctement : et si nous les maltraitons. Elles nous désenchantent, elles nous laissent peut-être et nous déçoivent, elles nous rendent humbles et discrets. Mais c’est précisément cela que nous devons devenir, c’est cela qu’il est difficile d’apprendre et qui pourtant doit s’apprendre, c’est cela qui déjà peut nous disposer à aller au devant de la véritable fête de la vie éternelle que nous prépare la grâce de Dieu, et non pas notre propre vertu. Mais il ne faut pas qu’elles nous aigrissent et nous rendent méchants ou sceptiques. Car ce qui est petit est la promesse de ce qui est grand, et le temps est le commencement de l’éternité. Cela vaut pour tous les jours aussi bien que pour le dimanche.
Pistes de réflexion :
– Que Dieu attend-il de nous dans les tâches quotidiennes ?
– Comment la vie quotidienne nous permet-elle d’accéder à cette « grâce cachée » ?