JE SUIS DÉBORDÉ, DONC JE SUIS ?
Car nous l’avons tous expérimenté et nous le ressentons dans le cadre du travail, il est très difficile de nous imposer nous-mêmes des limites face à cette injonction intérieure qui nous pousse à continuer, à en faire plus : à relancer sans cesse la machine qui nous procure un sentiment grisant, mais peut aussi nous faire souffrir quand la répétition et l’énergie mise à y répondre nous épuisent. Lacan définit le surmoi comme le lieu intérieur d’où viennent ces injonctions tyranniques à ne pas cesser (là où Freud en faisait une instance psychique répressive, qui interdit) [la loi du sabbat appelle au contraire à « cesser » le travail le 7ème jour]. Et il appelle « jouissance » ce qui ne doit pas cesser, ce qui dépasse le plaisir – qui, lui, peut trouver satisfaction – et se caractérise par son insistance, sa répétition et son envahissement de la vie psychique : « Qu’est-ce que la jouissance ? Elle se réduit à n’être rien qu’une instance négative. La jouissance, c’est ce qui ne sert à rien […]. Rien ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi, c’est l’impératif de la jouissance – Jouis ! » (Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XX).
Ce qui protège le sujet de cet impératif, c’est ce qui va, de l’extérieur, faire limite, le confronter à des impossibilités et à des interdits. Pour Lacan, l’autorité symbolique a cette fonction, non pas tant la répression en soi que la protection du sujet : elle pose un interdit qui limite la jouissance, fixe un point d’arrêt, confronte le sujet avec l’impossible. Ces limites ne sont pas transcendantes, elles peuvent bien sûr être remises en cause, le sujet peut s’y opposer et les contester.
Bénédicte Vidaillet
Je suis débordé donc je suis ?
Revue Projet n°355, 2016,
« Nobodysation » du travail. Pourquoi la suractivité nous séduit.
Article signalé par le Père Jean-Marc Furnon s.j.